Entretien à distance avec l’auteure d’« Acclamations » (2e partie)

2020.06.21
インタビュー

  « Je voulais rapporter la réalité autour de moi aussi bien comme écrivaine que comme témoin de l'Histoire » : deuxième partie de cet entretien au sujet d'« Acclamations », un texte que Maha a décidé d'écrire dans un Paris en confinement.

  — Maha, vous vous trouviez à Paris durant le confinement français, une ville qui était complètement différente de ce à quoi peut ressembler le Japon aujourd'hui, sous l'état d'urgence. Quel type d'émotion prédominait en vous dans cette capitale animée qui s'était soudain claquemurée ? La surprise, la peur ?

  M.H. : Ma plus grande surprise a été de constater que tout s'était mis en place à une telle vitesse (5e jour). J'ai été étonnée par cette puissance d'action de la France, mais en même temps, c'est aussi un pays où le peuple revendique fortement la démocratie, c'est-à-dire sa souveraineté. C'était essentiel pour qu'il puisse obtenir des compensations au lieu de subir des mesures qui lui auraient été imposées en un tournemain. Sans ces contreparties, il ne risquait pas de rester chez lui à attendre bien gentiment que les choses se passent. J'ai réalisé que c'était un pays à la démocratie forte, avec une structure sociale complètement différente de celle du Japon.

  — Savoir que vous ne pourriez peut-être pas rentrer au Japon devait être une première pour vous, qui avez pourtant déjà voyagé dans le monde entier. Tandis que la situation à Paris évoluait de jour en jour, quelles étaient vos inquiétudes, et comment avez-vous réussi à les surmonter ?

  M.H. : Quand je me promenais dans la ville en confinement, je me sentais comme dans un décor de cinéma parfait. Une ville d'une beauté sans pareille, mais où je ressentais tout de même de la tristesse et du vide (7e jour). C'est alors que j'ai compris que Paris était vraiment habitée par l'humain. Que sa beauté nous frappait précisément parce qu'il y avait là du monde et de la vie.
  Comme chacun devait rester chez lui, je me suis d'abord dit que ce serait plus simple pour me concentrer sur mon travail, mais en fait, j'étais agitée et je ne parvenais à rien. Je ne pensais qu'à me laver les mains (11e jour). Quand il m'est venu à l'idée que je ne pourrais peut-être pas rentrer au Japon, je me suis alors sentie étrangement sentimentale : après tout, ce n'était pas si mal de finir dans ce beau Paris (12e jour) ! C'est toutefois la nouvelle de la disparition de Ken Shimura (des suites du COVID-19, N.d.T.) qui m'a complètement fait changer d'avis.
  J'ai été profondément choquée par le fait qu'un homme aussi apprécié que M. Shimura ait non seulement perdu la vie à cause du coronavirus, mais qu'il soit parti seul, sans personne pour l'accompagner dans ses derniers instants. Je me suis alors comparée à lui, moi qui était tout aussi seule à Paris. Si jamais je tombais gravement malade en France, je serais une charge supplémentaire pour le système de santé et je mettrais dans l'embarras tous mes amis d'ici. Et si je venais à perdre la vie, je ne savais même pas où auraient eu lieu mes funérailles... je décevrais sans doute ma famille, mes relations et mes lecteurs au Japon. J'étais dans une situation où je ne pouvais pas assumer la responsabilité de ma propre existence. C'est en réalisant cela que j'ai compris qu'il me fallait rentrer au Japon (14e jour). Là-bas, je pourrais prendre mes responsabilités. Tout ce que j'avais à faire, c'était de retourner au Japon.
  C'est donc la mort prématurée de M. Shimura qui m'a finalement poussée à revenir. Personnellement, je ne l'avais jamais rencontré, mais le réalisateur Yôji Yamada disait de lui qu'il était un génie du rire. Je pense que c'était une personne vraiment formidable.
Sa disparition ne doit surtout pas avoir été vaine. Le décès de M. Shimura a donné aux Japonais le plus fort avertissement qui soit pour que nous ne prenions pas cette pandémie à la légère. Dans les faits, j'ai bien senti que les consciences avaient radicalement évolué après sa mort, y compris du côté du gouvernement.

  — Mon cœur s'est serré quand j'ai compris à quoi se rapportait le titre de la nouvelle. En rapportant cet épisode, je pense que vous avez voulu nous faire part de vos espoirs, n'est-ce pas ?

  M.H. : Quelques temps après le début du confinement, le geste d'applaudir sur son balcon à 20 h tapantes s'est naturellement diffusé parmi la population pour exprimer sa gratitude à l'égard du personnel soignant. Mon bureau donne sur la Seine ; en même temps que les cloches sonnaient à 20 h, j'entendais monter des vagues d'applaudissements. J'ai donc moi aussi ouvert ma fenêtre, et je me suis jointe au mouvement (16e jour). Ces acclamations étaient en effet une marque de gratitude envers le personnel soignant en guerre contre le virus, mais aussi une preuve de vie : « nous sommes vivants, nous sommes ensemble, et nous allons survivre. » Les habitants de Paris ont ainsi exprimé leur solidarité et leur détermination. Ces acclamations qui s'élevaient au-dessus du vide de la capitale et du cours de la Seine étaient tout à fait impressionnantes ; elles m'ont profondément marquée. Je voulais vraiment intégrer cette expérience à mon texte pour ne pas l'oublier, et c'est pourquoi j'ai décidé en premier du titre de la nouvelle.

Le musée Picasso visité par Maha juste avant le confinement, bien loin de son habituelle agitation : personne dans aucune des salles.

  — Vous avez publié ce texte en ligne, accompagné de belles photos de tableaux et de Paris. S'agissait-il de clichés issus de vos précédentes visites, ou datent-ils du confinement ?

  M.H. : Tous ont été pris pendant le confinement. Un coin de rue parisien sans bambins, c'est d'une beauté absolue, mais en même temps assez triste. Avec l'arrêt de l'activité économique, le bruit avait disparu, l'atmosphère était claire, le ciel bleu, et les couchers de soleil, pittoresques... quelle ironie !
  Les deux œuvres de Léonard de Vinci illustrant respectivement les 9e et 14e jours ont été photographiées au Louvre le 24 février. La « Draperie pour une figure assise » (14e jour) a été réalisée par un Léonard jeune homme ; c'est un petit dessin carré de 30 cm de côté, mais alors là... c'est juste écrasant. Déjà, il est assez étonnant que cette œuvre ait été dessinée 550 ans auparavant par un inconnu (à l'époque...) âgé de vingt ans. Mais ce qui l'est encore plus, c'est qu'elle ait été conservée et transmise pendant tout autant de temps, que nous puissions continuer à être émus à sa vue près de cinq siècles et demi plus tard. Ce petit morceau de papier et le dessin qu'il porte nous enseignent que la nature humaine ne change pas. Ce tableau m'a insufflé du courage ; j'ai vraiment senti qu'il était important pour un artiste de « survivre et [de] laisser une trace dans le cœur des gens ».

(À suivre dans la troisième partie de l'entretien. Traduction par Claude Michel-Lesne )

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