Entretien à distance avec l’auteure d’« Acclamations » (1e partie)

2020.06.21
インタビュー

  Pendant dix-huit jours consécutifs, la nouvelle « Acclamations » de Maha Harada a été publiée en ligne sur les comptes Twitter et lnstagram de l'auteure. Le 16 avril dernier, nous avons eu l'occasion d'échanger par e-mail avec Maha au sujet de ce travail, depuis diffusé dans son intégralité dans la rubrique « La petite galerie de Maha » de son site officiel.

  — Pourquoi avoir décidé de sérialiser pendant dix-huit jours la nouvelle « Acclamations » sur les réseaux sociaux ? On sentait bien le caractère autobiographique de l'histoire, que ce « je », c'était vous-même. Mais pourquoi avoir adopté la forme d'une nouvelle plutôt que d'exprimer vos pensées du moment sur Twitter ?

  M.H. : J'ai un pied à Paris et l'autre à Tôkyô ; je navigue régulièrement entre les deux. Chaque fois que je viens à Paris, il y a une magnifique exposition à voir et je peux me documenter autant que j'en ai besoin. C'est pourquoi, ces cinq ou six dernières années, j'ai écrit plusieurs romans d'art qui se déroulaient à Paris.
  Cette fois-ci, une exposition d'une envergure inédite avait été organisée au Musée du Louvre pour commémorer le 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci, et je me suis arrangée pour pouvoir m'y faufiler le dernier jour (le 24 février). Il y avait une foule et un enthousiasme considérables, quand j'y repense, les trois facteurs majeurs de propagation d'un virus étaient réunis : des pièces fermées, des rassemblements, de la proximité. J'ai joué des coudes avec des Français et des Italiens pour visiter l'exposition, mais j'étais la seule Asiatique du lot. Le coronavirus sévissait alors en Chine ; même au Japon, un cluster était apparu dans un navire de croisière, ce qui avait commencé à causer des problèmes. Il n'y avait alors pas le moindre sentiment de crise à Paris, et la pandémie semblait juste se dérouler dans contrée lointaine. Vous seriez passé pour un fou si vous aviez dit que trois semaines plus tard, toute la ville serait confinée. Mais j'ai tout de même trouvé ça bizarre, de ne croiser aucun autre Asiatique à l'exposition. Que les touristes d'origine asiatique disparaissent d'un coup alors qu'ils avaient jusqu'à présent inondé les rues... j'ai pensé que cela témoignait de la gravité de la situation.
  Peu de temps après, le nombre de personnes contaminées par le coronavirus a commencé à augmenter en Italie, ce qui a fait l'objet de nouvelles quotidiennes en France au cours de la première semaine de mars. J'avais comme un vague pressentiment que les musées allaient être fermés dans peu de temps, alors j'ai une nouvelle fois été au Louvre, le dernier jour de février, pour voir le vase de Mésopotamie que j'avais découvert là-bas il y a une dizaine d'années, celui qui serait « la plus ancienne pièce du Louvre ». J'ai publié sa photo sur Instagram. Puis, le lendemain, le Louvre a vraiment fermé : je me suis dit que ce n'était pas anodin.
  Finalement, le confinement a été imposé deux semaines plus tard, et je me suis retrouvée à la fois partie prenante et témoin d'un événement historique. Comme je l'ai écrit dans « Guernica Undercover » et « La liste des lumières retrouvées », il y a eu un moment en 1940 où l'Allemagne nazie a envahi la France et occupé Paris. Quand j'ai réalisé que j'assistais à un instant de bascule très similaire, j'ai voulu en conserver une trace, et c'est ainsi que j'ai eu l'idée d'écrire à la volée une petite histoire. J'avais bien pensé à commenter la situation sur Twitter, mais les réseaux sociaux, c'est un média d'immédiateté, tout y disparaît dans le flux. Ils ont un caractère éphémère ; c'est là leur grande différence avec la fiction. Je voulais rapporter la réalité autour de moi aussi bien comme écrivaine que comme témoin de l'Histoire. Voilà pourquoi « La Peste » de Camus est actuellement relue dans le monde entier. Moi, je voulais partager ce moment avec mes lecteurs et en laisser une trace pour l'ère post-coronale. C'était ma principale motivation à l'écriture d'« Acclamations ».

  — Je savais que le dernier épisode de ce texte arriverait dans peu de temps, mais je me demandais chaque jour ce que j'allais bien pouvoir lire. Je pense que la plupart des lecteurs ont été très inquiets pour vous qui étiez confinée à Paris.

  M.H. : La raison pour laquelle je comptais limiter la période de sérialisation à dix-huit jours a été explicitée dans la courte préface du 29 mars, à la veille du début de la publication. À cette date, 1 827 personnes avaient été contaminées au Japon, contre 37 575 en France. Or, dix-huit jours auparavant, il n'y avait que 1 784 contaminés en France.
En d'autres termes, le 29 mars, le nombre de malades au Japon était presque le même qu'en France dix-huit jours plus tôt. Et le 11 mars, personne en France n'aurait pu imaginer qu'un confinement généralisé serait imposé. Si la situation n'était pas prise en main de toute urgence côté japonais, il n'était pas impossible qu'elle évolue comme en France en l'espace de deux semaines et demi. Je voulais tirer la sonnette d'alarme par rapport à cette réalité.
  Le jour où j'ai pris la décision d'écrire « Acclamations », le 29 mars, je venais d'apprendre la disparition du comédien Ken Shimura, qui devait tenir l'un des rôles principaux de l'adaptation cinématographique de mon roman « The Name above the Title ». C'est aussi le jour où j'ai décidé de revenir au Japon. Pour être honnête, je n'avais aucune idée de ce que j'allais devenir en dix-huit jours. Pourrais-je vraiment rentrer dans mon pays ? Que se passerait-il si mon test revenait positif là-bas ? J'avais également eu vent de l'attitude des Japonais vis-à-vis de leurs compatriotes rapatriés : il y avait de l'inquiétude, voire de la peur, même. Néanmoins, j'ai placé tous mes espoirs en ces dix-huit jours de sérialisation. J'espérais que dans ce court laps de temps, le Japon prendrait les bonnes mesures pour contenir l'épidémie et que nous parviendrions tous à coopérer les uns avec les autres devant l'horreur de ce virus.
   Il m'était difficile de croire que nous réussirions du premier coup, mais je comptais sur la possibilité d'un sursaut collectif de dernière minute. Et en fait, je pense que beaucoup de Japonais ont compris ce qu'ils avaient à faire dans cette situation, ils ont alors essayé de se rassembler dans la solidarité. Presque tous les habitants des villes portent des masques maintenant, et j'ai entendu dire que beaucoup avaient abaissé la fréquence de leurs contacts interpersonnels à 70 % ou 80 % de la normale. Du 29 mars au 17 avril, le nombre de contaminés au Japon a progressé à 9 220 personnes. Environ cinq fois ce qu'il était dix-huit jours auparavant ; un chiffre certes en augmentation, mais incroyablement petit par rapport à la France, où dans le même intervalle de temps, le nombre de personnes infectées avait été multiplié par 21 (entre le 11 et le 29 mars). Je ne sais pas d'où vient cet écart, mais il y a bien des différences entre Occidentaux et Japonais dans la façon, par exemple, dont ces derniers ont conscience des choses, leur haut degré de sérieux, sans parler des bonnes pratiques qu'ils ont toujours observé en matière de santé publique. À ce sujet, j'ai écrit le dix-septième jour qu'ils ne bavardaient pas en public, et que c'était là une force des Japonais. Il ne discutent pas devant les autres, c'est-à-dire qu'ils ne projettent pas de gouttelettes de salive en se faisant face. Ce n'est pas le cas en Occident, où l'on valorise le fait de parler à voix haute, de communiquer, d'être affirmé. En comparaison, on a pu dire que les Japonais ne s'affirmaient pas, qu'ils étaient timorés. Vous autres ne dites pas ce que vous voulez vraiment dire, etc. En temps normal, c'est peut-être leur point faible, mais avec cette pandémie, j'ai réalisé que cette faiblesse était en réalité une « force ».
  Si l'on examine à nouveau les différences culturelles et de coutumes entre Japon et Occident, les Japonais ont un sens de l'autre, du « comment se tenir devant les autres », assorti d'une culture de la honte. Ce sens est bien plus développé que celui des Occidentaux. C'est juste mon opinion, mais je pense qu'il leur confère un avantage en ces temps de pandémie.
  Mes lecteurs japonais étaient très inquiets pour moi, oui, ils me demandaient quand est-ce que j'allais rentrer. Comme j'avais adopté le format narratif d'une nouvelle, je ne pouvais pas leur révéler la suite, ce qui fut pour moi pénible. D'un autre côté, j'étais très heureuse de recevoir beaucoup de soutien en temps réel.

(À suivre dans la deuxième partie de l'entretien. Traduction par Claude Michel-Lesne )

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