Entretien à distance avec l’auteure d’« Acclamations » (3e partie)
- 2020.06.21
- インタビュー
Il est 20 h : des acclamations se font entendre avec les cloches dans Paris confinée. Dernière partie de cet entretien par courriel au sujet d'« Acclamations », un texte visant à restituer l'expérience de Maha Harada à des fins mémorielles.
— Nous avons beau comprendre l'importance du confinement dans la lutte contre le coronavirus, il nous semble dans les faits difficile de ne pas sortir de chez nous et de conserver nos distances avec autrui. Mais se confiner nous protège, ainsi que les autres, que le reste du monde. Qu'en pensez-vous ?
M.H. : Nous avons appris au fil des jours comment se transmettait le virus. On a découvert que les gouttelettes de salive constituaient le principal vecteur de contamination, aussi nous a-t-il été recommandé de porter un masque, puis de maintenir une distance interpersonnelle (une « distance sanitaire ») de 1,5 à 2 m, et d'éviter les pièces non aérées, les rassemblements, les conversations directes. Il s'agissait donc de ne voir personne, de ne parler à personne même si l'on croisait des gens, et de rester volontairement chez soi : voilà ce qui nous protégerait éventuellement de la contamination, ainsi qu'autrui. On a compris que c'était le seul moyen d'infléchir le cours de la pandémie.
Au cours de la période d'incubation, le virus se présente sous une forme asymptomatique, ce qui signifie que l'on peut très bien infecter d'autres personnes sans savoir que l'on est porteur. Si vous toussez ou avez de la fièvre, vous resterez bien entendu à la maison, mais si vous ne constatez pas de changement dans votre état de santé, alors vous continuerez à fréquenter normalement les autres et à propager graduellement le virus, qui peut s'avérer particulièrement grave pour les plus vulnérables comme les personnes âgées, ou celles présentant une pathologie préexistante / chronique. Et pendant ce temps, vous n'aurez rien remarqué de particulier. C'est ça, le plus effrayant...
Voilà pourquoi plusieurs pays ont mis en place un confinement strict. Aucune chance, cependant, que les gens acceptent de rester à domicile et de voir magasins et entreprises fermés sans recevoir une contrepartie. Contenir les risques de contamination ne sert à rien si de l'autre côté, on neutralise la vie de la population. Certains pays ont donc promulgué des mesures compensatoires en même temps que celles relatives au confinement. Le gouvernement japonais, lui, n'a pas pu prendre une telle décision : il ne pouvait pas indemniser les gens à 100 %, et de toute façon, personne ne voulait assumer la responsabilité d'une telle manœuvre. Il s'est donc contenté de demander mollement aux gens de rester chez eux. Dès le début, il a manqué de cran : rien d'étonnant à ce que la population soit en colère.
J'ai prêté attention aux déclarations des dirigeants de plusieurs pays avant et après le confinement. C'est la chancelière allemande Angela Merkel qui a proposé le discours et les mesures les plus efficaces pour enrayer massivement la propagation du virus, le tout avec l'aval de la population. Une traductrice japonaise a immédiatement traduit ses allocutions, que j'ai pu lire dès le lendemain sur internet (page de Mikako Hayashi-Husel). Tandis que je découvrais dans ces discours les qualités exceptionnelles de dirigeante de Mme Merkel, j'ai également été sensible à la finesse et au sens du devoir dont témoignait la traductrice qui avait élaboré la version japonaise de ces textes et l'avait aussitôt mise en ligne. Je pense que cette dame expatriée en Allemagne a eu l'intuition que les Japonais devaient prendre connaissance de ces discours. Que quelqu'un avec une telle sagacité facilite pour nous la communication, voilà qui m'a donné du courage.
— Vous avez déclaré que c'était le moment ou jamais pour lire votre roman « Fluctuat Nec Mergitur ». Que voudriez-vous partager avec les lecteurs actuellement confinés chez eux ?
M.H. : Quand j'étais confinée à Paris, je regardais quotidiennement le cours de la Seine par la fenêtre. Et quand je sortais, une fois par jour, je le regardais aussi depuis un pont. Ce faisant, je pensais à Van Gogh, qui fut un grand solitaire. Il ne fait aucun doute qu'il a dû lutter contre la solitude tout au long de son incroyable vie. Mais d'un autre côté, je pense qu'il avait en lui le courage pour oser la regarder en face, cette solitude. La preuve : ses meilleures toiles ont été peintes au cours de sa dernière année de vie, alors qu'il n'avait jamais été aussi seul et abandonné par le reste du monde.
Les œuvres de Van Gogh nous enseignent la chose suivante : c'est lorsqu'un artiste se retrouve seul face à lui-même qu'il affute le plus sa sensibilité. Ce qui a été créé aux confins d'une extrême solitude ne devient toutefois une œuvre que s'il y a quelqu'un pour recevoir cette création, et la reconnaître comme une œuvre d'art. Qu'il s'agisse d'un roman, d'une pièce de musique ou de théâtre, je crois qu'à ce niveau, tous les arts se valent. S'il n'y a personne pour la lire, l'écouter ou la voir, la création ne peut pas vraiment devenir de l'art.
Dans le cas de Van Gogh, le destinataire de ses toiles fut son frère Théo. Les frères Van Gogh n'auraient jamais imaginé que le travail de Vincent serait amené à être aussi apprécié un siècle plus tard, et dans le monde entier, qui plus est. Ils sont morts en chevauchant les vagues, tels de petits bateaux ballotés par des flots déchaînés dans une tempête. Mais au bout du compte, une fois l'orage passé, ce sont des œuvres qui ont émergé d'entre les vagues, des œuvres qui ont été reconnues par le reste du monde. Le titre « Fluctuat Nec Mergitur » se rapporte ainsi aux frères Van Gogh, qui ont mis en jeu leur propre vie pour parvenir à se réaliser.
Cette expression était à l'origine gravée sur les armoiries de la ville de Paris. La Seine a souvent tourmenté les barreurs par ses débordements, depuis très longtemps. Ceux-ci ont pu comparer Paris à la Cité, cette île enserrée entre les deux bras du fleuve : « quand la tempête se lève, c'est la Cité qui se fait secouer comme une embarcation et disparaît derrière les vagues. Mais, dès que l'orage est passé, elle réapparaît. Paris est comme la Cité ; Paris vacille, mais ne coule pas. » Fluctuat Nec Mergitur : des mots qu'ils ont alors inscrits à la proue de leur bateau, comme une amulette. Peu importent les turbulences de l'époque qui sont en train de nous bousculer : nous vacillons, certes, mais ne coulerons certainement pas. Le moment est venu d'affronter les vagues et de tenir la barre. Quand l'orage sera passé, nous ressurgirons et continuerons à avancer. J'espère que les lecteurs du roman repenseront à ces quelques mots, surtout par les temps qui courent.
— Il paraît que les librairies encore ouvertes reçoivent plus de clients que d'habitude, clients qui achèteraient pas mal de livres. Alors que nous sommes toujours confinés, un confinement dont nous ne voyons d'ailleurs pas le bout, quelle est selon vous la bonne attitude à adopter ?
M.H. : Quand j'ai contacté mon frère (le romancier Munenori Harada, N.d.T.), il m'a répondu : « dire que je peux sauver l'humanité rien qu'en dormant ! ». Ça ne m'étonne pas de lui... (rires)
En ce qui me concerne, j'avais l'habitude de dire que mon hobby consistait à sauter d'un endroit à l'autre » : j'étais toujours sur le départ, toujours pressée par le temps. Alors maintenant, j'apprécie vraiment de passer tout mon temps à écrire, à lire et à cuisiner des petits plats, bien tranquillement.
Je ne peux pas me rendre au musée, ni voyager, ce qui est pesant, mais cette situation ne va pas durer pas éternellement. Et puis, je sais que je ne suis pas la seule concernée . c'est toute la planète qui va être entravée pendant un certain temps. Il importe avant tout de faire attention à sa santé pour ne pas tomber malade et ne pas saturer le système de soins. Vous pouvez vous défendre contre les infections en augmentant votre immunité grâce à une alimentation équilibrée, un sommeil suffisant et un rythme de vie régulier, ce sont les trois facteurs les plus importants.
Certaines études ont par ailleurs avancé que l'art, la musique et le théâtre seraient efficaces pour renforcer son immunité... alors pourquoi ne pas considérer le confinement comme une bonne occasion de parfaire vos connaissances au sujet des œuvres qui vous intéressent, en regardant des images, des vidéos, ou en lisant des livres à ce propos ? Histoire de vous récompenser d'avoir tenu le coup, pour pouvoir de nouveau apprécier de vraies œuvres d'art dans le monde d'après !
Il est merveilleux de penser que l'on contribue à sauver l'humanité juste en restant chez soi. Autrefois, la Renaissance s'est produite dans le sillage de l'épidémie de peste qui avait ravagé le continent européen. Nous avons maintenant l'opportunité de reprendre conscience que vivre avec humanité, c'est peut-être naturel, mais c'est surtout une chose merveilleuse. Je voudrais que chacun pense à lui autant qu'aux autres, et qu'ainsi, nous parvenions tous à survivre. Quant à moi, en tant que membre de cette humanité, je suis bien déterminée à survivre, à continuer à écrire, et à diffuser mes écrits.
( Traduction par Claude Michel-Lesne )
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